La Cour de cassation a récemment rendu deux arrêts (les 4 et 15 mars 2021) en matière d’abus de droit dans le cadre de la résolution d’un bail commercial. Une problématique qui parait particulièrement pertinente à l’heure où les mesures sanitaires actuelles n’ont pas toujours été de nature à pérenniser les relations entre locataires et bailleurs, bien au contraire.
Pour rappel, le principe de l’exécution de bonne foi des conventions (article 1134, al. 3 de l’ancien Code civil) interdit à une partie à un contrat d’abuser des droits que lui confère celui-ci. En exerçant un droit d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente, le bailleur s’expose donc au risque que son comportement soit qualifié d’abusif.
En cas de litige, le juge est alors tenu d’examiner la proportion entre l’avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit et le dommage causé à l’autre partie. Dans l’appréciation des intérêts en présence, le juge doit tenir compte de toutes les circonstances de la cause, et déterminer si, entre plusieurs façons d’exercer ses droits, le titulaire du droit n’a pas choisi la plus dommageable.
La question soulevée dans les deux dossiers examinés par la Cour était de savoir si le bailleur, qui avait usé des droits que lui confère la loi sur le bail commercial, n’avait pas abusé de ceux-ci ou plus exactement si l’avantage recherché par une partie (le bailleur) était démesuré par rapport au dommage causé à l’autre.
Dans un premier arrêt du 04 mars 2021, la cour avait à connaitre d’un litige opposant un locataire et son bailleur, qui à la suite de la résolution du bail pour retards importants et répétés dans le paiement des loyers, avait reloué l’immeuble à un tiers à qui le locataire souhaitait céder son fonds de commerce.
En l’espèce, le locataire faisait valoir qu’en choisissant de solliciter la résolution de la convention de bail commercial, le bailleur lui avait fait perdre le bénéfice de l’exploitation du commerce dans les lieux faisant ainsi obstacle à la cession du fonds de commerce à un tiers (et au profit qu’il pouvait générer) sans réel avantage légitime pour lui, hormis la possibilité de ‘se passer’ du locataire en donnant lui-même les lieux en location au candidat acquéreur dudit fonds de commerce.
Le locataire évincé considérait dès lors que le choix du bailleur d’opter pour la résolution de la convention est abusif en ce qu’il lui procure un avantage hors de proportion avec le dommage qu’il cause au locataire et qu’il constitue la manière la plus dommageable pour lui d’exercer son droit sans qu’elle en retire un intérêt (légitime) suffisant.
La cour a cassé cette décision estimant que le juge de première instance n’avait pas examiné la proportionnalité entre l’avantage recherché par le bailleur et le préjudice subi par le locataire à la suite de la résolution de son bail.
Dans un second arrêt du 15 mars 2021, la cour avait à connaitre d’un conflit né entre un locataire-principal et un sous-locataire à l’occasion du non-renouvellement par le locataire-principal du contrat de sous-location, alors qu’un nouveau contrat de bail avait été signé par le bailleur (principal) et ce même locataire-principal.
Le premier juge avait fait droit à la demande du sous-locataire qui reprochait au locataire-principal (dont l’intérêt n’était en l’espèce pas d’exploiter lui-même le commerce dont question) de n’avoir pas veiller à convenir avec lui une nouvelle convention de bail, à l’image de ce qu’il avait lui-même pu obtenir du bailleur (principal), alors même qu’il lui avait proposé une augmentation du loyer ainsi qu’une indemnité en contrepartie de la conclusion d’un nouveau (sous) contrat de bail. Le locataire-principal avait en effet sous-loué le bien à un autre exploitant, moyennant un loyer plus bas et sans aucune indemnité complémentaire (pourtant proposée par le sous-locataire).
Il est apparu aux yeux du premier juge que le seul motif crédible pour lequel le locataire-principal a refusé l’offre du sous-locataire était qu’il entendait en réalité s’approprier le fonds de commerce et qu’en refusant de conclure un nouveau bail, il avait agi dans l’intention exclusive de nuire au locataire-principal en lui causant un important préjudice.
La Cour de cassation n’a toutefois pas cassé ce jugement considérant que les motifs invoqués suffisaient à fonder sa décision que le locataire-principal avait bien commis un abus de droit en refusant de contracter un nouveau bail avec le sous-locataire.
Auteur :
Nicolas GODIN