Dans un arrêt du 7 janvier 2021 (C.20.0258.F), la Cour de cassation s'est prononcée sur la possibilité d'une résolution (pour faute) d'un contrat concession de vente à durée indéterminée (Livre X CDE) pour les mêmes motifs que ceux invoqués précédemment pour résilier ce même contrat avec préavis.
Le 4 juillet 2006, les parties ont signé un « contrat de concessionnaire agréé KIA » remplacé en 2014 par une « nouvelle convention de distributeur agréé ».
Le 26 mai 2015, le concédant avait communiqué au concessionnaire les résultats d'un audit réalisés au sein de ses installations quelques mois plutôt révélant des irrégularités commises par le concédant (notamment quant aux primes et remises octroyées aux clients perçu indument). A défaut de justifications fournies par le distributeur, le concédant lui avait notifié, par courrier du 26 août 2015, sa volonté de mettre un terme au contrat, avec effet au 31 août 2017. Par citation du 14 septembre 2016, le distributeur avait assigné le concédant devant le tribunal de l'entreprise de Liège en vue d'obtenir, entre autres, sa condamnation au paiement d'une indemnité compensatoire de préavis et d'une indemnité complémentaire de rupture.
Dans l'intervalle, un nouvel audit avait été réalisé à l’initiative du concédant révélant de nouvelles irrégularités. Eu égard à ces irrégularités, le concédant avait formulé une demande reconventionnelle en résolution judiciaire. Le premier juge avait déclaré non fondées tant la demande du distributeur que celle du concédant.
La cour d'appel de Liège avait confirmé la décision du premier juge en considérant que le concédant ne pouvait justifier la résolution judiciaire de la convention aux torts du concessionnaire par les mêmes motifs que ceux qu’il invoquait déjà en 2015 pour résilier la convention moyennant un préavis de deux ans, et, après avoir procédé à une comparaison des manquements concernés, déclaré non fondée l’action en résolution judiciaire pour le motif que les motifs invoqués en 2015 étaient identiques à ceux justifiant la résolution du contrat pour faute.
Elle soulignait notamment le fait que (i) en 2015 le concédant n'avait pas que des « soupçons » quant à l'existence d'irrégularités mais en était convaincu compte tenu de « l'absence de justification des irrégularités » et le contrat prévoyait la possibilité de résoudre avec effet immédiat si le distributeur donne délibérément des fausses informations, (ii) le concédant considérait déjà en 2015 que les manquements étaient suffisamment graves pour justifier la résolution avec effet immédiat car la notification de résiliation mentionnait: « Nous aurions pu prononcer la résiliation immédiate, mais nous avons le souci de mitiger notre dommage. » et (iii) ce n'est que « subsidiairement » que le concédant invoquait comme fondement à la résiliation l'article du contrat selon lequel les parties peuvent résilier en donnant un préavis d'au moins 24 mois. La partie qui met fin au contrat est toujours en droit de postuler la résolution judiciaire en cas de manquement suffisamment grave, même durant l'exécution d'un préavis, mais selon la cour d'appel elle doit « rester cohérente » et ne peut justifier la résolution du contrat par les mêmes motifs que ceux qu'elle invoquait déjà précédemment pour une résiliation avec préavis.
Dans son arrêt du 7 janvier 2021, la Cour de cassation annule l'arrêt de la cour d'appel.
La Cour de cassation rappelle que le juge qui doit se prononcer sur la demande de résolution en application de l'article 1184 du Code civil est tenu d'examiner l'étendue et la portée des engagements pris par les parties et, à la lumière des circonstances de fait, d'apprécier si le manquement invoqué est suffisamment grave pour prononcer la résolution.
La partie qui a résilié un contrat de concession de vente avec préavis en application de l'article X.36 du Code de droit économique ne doit justifier d'aucun motif. Il s'ensuit que l'exercice par une partie de ce droit de résiliation ne fait pas obstacle à ce qu'elle demande ensuite sa résolution pour inexécution fautive par le débiteur de ses obligations, alors même que, à l'appui de sa résiliation unilatérale, elle a invoqué cette même inexécution fautive.
L'arrêt, qui rejette la demande de résolution parce que celle-ci ne pourrait se justifier par les mêmes motifs que ceux éventuellement invoqués lors de la résiliation avec préavis en application de l'article X.36 du Code de droit économique viole l'article 1184, alinéa 1er, de l'ancien Code civil : il ajoute à l’article 1184 une condition que le prescrit légal ne prévoit pas et néglige d’examiner si les manquements dénoncés par le concédant sont suffisamment graves pour justifier la résolution de la convention aux torts de la défenderesse.
Auteur :
Nicolas GODIN