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La
directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain institue un régime harmonisé et exige la délivrance d’une autorisation de mise sur le marché (ci-après, l’« AMM ») avant la commercialisation d’un médicament sur le territoire d’un Etat membre de l’Union européenne. Ces autorisations sont délivrées soit par les autorités compétentes en matière de santé des Etats membres – l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en France – soit par la Commission européenne en application de la procédure centralisée prévue par le
règlement n°726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004.
L’octroi d’une AMM permet alors de s’assurer que la spécialité pharmaceutique à commercialiser respecte les critères de qualité, notamment en se conformant aux bonnes pratiques de fabrication, de sécurité et d’efficacité, évaluées en fonction de l'état d'avancement des connaissances scientifiques et compte tenu de la destination du médicament. Afin d’apprécier la réunion de ces trois critères, l’industriel a l’obligation de réaliser des essais analytiques, toxico-pharmacologiques (précliniques) et cliniques et d’en transmettre les résultats à l’autorité compétente pour évaluation.
Dans l’esprit de l’article 28 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), consacrant le principe de la libre circulation des marchandises, la directive 2001/83/CE introduit au Titre III, Chapitre 4, une procédure de reconnaissance mutuelle pour les AMM. Cette procédure permet à un médicament ayant déjà reçu une AMM dans un Etat membre, dit de référence, de bénéficier d’une nouvelle AMM dans un autre Etat membre, après reconnaissance par ce dernier de l’AMM de l’Etat de référence.
Dans l’affaire Pharma Expressz du 8 juillet 2021, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue rappeler le régime de l’AMM des médicaments à usage humain et notamment qu’une AMM délivrée dans un autre Etat membre (sans prescription médicale) ne lie pas l’autorité de l’Etat membre dans lequel le médicament est mis sur le marché. En outre la délivrance d’un médicament sans AMM, prévue à titre exceptionnel par la directive, peut être encadrée de manière stricte par le droit national sans contrevenir au principe de libre circulation (Affaire C-178/20). 1
En mars 2019, les autorités hongroises avaient enjoint à un importateur de s’abstenir de commercialiser un médicament n’ayant pas fait l’objet d’une AMM en Hongrie, mais dont la mise sur le marché avait été autorisée dans un autre État membre pour être délivré sans prescription médicale. En effet, la réglementation hongroise en vigueur n’autorise la commercialisation de médicaments n’ayant pas fait l’objet d’une AMM des autorités hongroises ou de la Commission européenne qu’à la double condition qu’un médecin prescripteur notifie leur utilisation aux autorités hongroises et que celles-ci produisent une déclaration pour leur commande et leur délivrance.
L’importateur a formé un recours contre cette décision devant la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), faisant valoir que l’interprétation du droit hongrois par les autorités revenait à imposer une restriction quantitative à l’importation contraire à l’article 34 TFUE.
C’est dans ces circonstances que la cour de Budapest-Capitale a décidé de surseoir à statuer et a posé à la CJUE deux questions préjudicielles :
« 1) Ressort-il des articles 70 à 73 de la directive 2001/83 qu’un médicament pouvant être délivré sans prescription médicale dans un État membre doit également être considéré comme un médicament pouvant être délivré sans prescription médicale dans un autre État membre, même lorsque, dans cet autre État membre, le médicament en question ne bénéficie pas d’une [AMM] et n’a pas fait l’objet d’une classification ?
2) Une restriction quantitative qui impose une prescription médicale et une déclaration de l’autorité pharmaceutique comme conditions de la commande et de la délivrance au patient d’un médicament qui ne bénéficie pas d’une [AMM] dans un État membre, mais bénéficie d’une telle [AMM] dans un autre État membre [...], est‑elle justifiée au regard de la protection de la santé et de la vie des personnes, telle que visée à l’article 36 TFUE, même si le médicament est enregistré dans l’autre État membre comme pouvant être délivré sans prescription médicale ? ».
Pour la première question préjudicielle, la Cour considère que la directive s’oppose à une telle reconnaissance mutuelle, qui ne respecte pas les conditions de mise en œuvre définies au Titre III, Chapitre 4, de la directive 2001/83/CE. Elle rappelle que la procédure de reconnaissance mutuelle est
conditionnée au dépôt par le titulaire de l’AMM d’une demande d’AMM dans l’Etat concerné.
De surcroît, l’article 6, paragraphe 1, énonce qu’«
aucun médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une AMM ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre ou par la Commission européenne ». Une lecture stricte de la directive
s’oppose donc à ce qu’un médicament soit mis sur le marché d’un Etat membre en ayant simplement fait l’objet d’une AMM délivrée par l’autorité compétente d’un autre Etat membre.
Concernant la seconde question préjudicielle, la Cour considère que la réglementation hongroise qui impose une prescription médicale et une déclaration de l’autorité compétente en matière de santé, est issue de la transcription en droit hongrois de l’exemption prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83/CE.
Cette disposition permet aux Etats membres, «
en vue de répondre à des besoins spéciaux, [d’]exclure des dispositions de la […] directive les médicaments fournis pour répondre à une commande loyale et non sollicitée, élaborés conformément aux spécifications d'un praticien agréé et destinés à ses malades particuliers sous sa responsabilité personnelle directe ». Selon la CJUE, «
cette disposition est d’interprétation stricte, dès lors que la possibilité d’importer des médicaments ne bénéficiant pas d’une AMM, prévue par une réglementation nationale mettant en œuvre la faculté prévue à ladite disposition, doit demeurer exceptionnelle afin de préserver l’effet utile de la procédure d’AMM et ne peut être exercée qu’en cas de nécessité, en tenant compte des besoins spécifiques des patients » (para. 64).
La réglementation hongroise,
qui ne fait que transposer les règles énoncées par la directive 2001/83, ne saurait donc être qualifiée de restriction quantitative à l’importation ou de mesure d’effet équivalent prohibée par l’article 34 TFUE.
Dans cette affaire, la CJUE confirme que le mécanisme de reconnaissance mutuelle des AMM de médicaments à usage humain s’oppose à ce qu’un médicament pouvant être délivré sans prescription médicale dans un État membre soit également considéré comme un médicament pouvant être délivré sans prescription médicale dans un autre État membre, lorsque, dans ce dernier État, ce médicament ne bénéficie pas d’une autorisation de mise sur le marché et n’a pas fait l’objet d’une classification.
En outre, est compatible avec le droit européen, la disposition nationale adoptée en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83, qui impose des conditions à la délivrance d’un médicament sans AMM dans le but d’assurer le respect des conditions énoncées à cette disposition ; en effet, cette disposition nationale ne constitue ni une restriction quantitative ni une mesure d’effet équivalent, au sens de l’article 34 TFUE.
1 Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (quatrième chambre) du 8 juillet 2021, Pharma Expressz Szolgáltató és Kereskedelmi Kft contre Országos Gyógyszerészeti és Élelmezés-egészségügyi Intézet, Affaire C-178/20, ECLI:EU:C:2021:551
AUTEURS
Alexandre Marescaux
Indiana de Seze
Clémence Deffayet