Le 9 juillet 2021, la Commission européenne a publié son projet de révision du règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux1 et des lignes directrices afférentes. Ces projets de textes ont été soumis à la consultation publique, dont les résultats – plutôt critiques – ont été publiés le 22 novembre 2021.
Ce règlement permet d’exclure de l’interdiction des ententes la plupart des accords verticaux
1 entre entreprises situées à différents niveaux de la chaîne commerciale (notamment les accords de distribution). Pour être exempté, un accord ne doit pas contenir de restrictions dites « caractérisées » et fournisseur et acheteur doivent chacun détenir une part de marché ne dépassant pas 30%.
L’ancien règlement arrivant à expiration le 31 mai prochain, les nouveaux textes entreront en vigueur le 1er juin 2022. Toutefois, les services de la Commission ont annoncé que ces textes ne seront définitivement adoptés qu’en avril/mai 2022. Il est donc important pour les entreprises d’anticiper les changements à venir.
Les principales modifications auxquelles les entreprises doivent se préparer sont les suivantes :
- Adaptation du règlement aux enjeux du commerce en ligne : encadrement des restrictions des ventes en ligne, abandon du principe d’équivalence des critères imposés pour la vente en ligne et en boutique, les plateformes de vente en ligne ne pourront plus imposer de clauses de parité élargies ;
- Nouveaux seuils pour la distribution duale ;
- La pratique des doubles prix peut bénéficier du régime d’exemption ;
- Renforcement des mécanismes pour assurer l’étanchéité et l’efficacité des réseaux de distribution sélective et exclusive.
LES INNOVATIONS ISSUES DES NOUVEAUX TEXTES
Distribution duale
La distribution duale recouvre la situation par laquelle un fabricant d’un produit est aussi distributeur de ce même produit. Au stade de la distribution, le fournisseur est alors en position de concurrence avec ses distributeurs.
Dans cette situation, le projet de règlement modifie la zone de sécurité actuelle :
- en-deçà de 10 % de part de marché cumulée des parties sur le marché de détail, tous les aspects verticaux de l’accord seront exemptés, à l’exception des restrictions caractérisées et horizontales par objet ;
- au-delà du seuil de 10%, mais en-deçà du seuil actuel de 30 %, l’accord demeure exempté mais les échanges d’informations devront être examinés à la lumière des règles sur les accords horizontaux.
Ce nouveau seuil d’exemption fait peser sur les entreprises une insécurité juridique très forte dès lors qu’il est difficile de calculer des parts de marché sur le marché de détail (selon les cas les marchés peuvent être définis par zones de chalandise). Cette insécurité peut décourager les fournisseurs à pratiquer la distribution duale, qui est pourtant facilitée par le développement de la vente en ligne et a pour effet de dynamiser la concurrence intramarque en mettant en concurrence fabricants et détaillants sur les marchés de la distribution.
Partant, les répondants à la consultation publique ont majoritairement critiqué l’introduction de ce nouveau seuil, en proposant par exemple le relèvement du seuil de 10% ou l’utilisation de seuils alternatifs plus simples à calculer (par exemple la part des ventes directes du fournisseur dans ses ventes totales).
Aussi, l’analyse des échanges d’informations par le prisme des règles sur les accords horizontaux n’est pas adaptée dès lors que ces échanges sont de nature verticale et sont indispensables pour la coopération entre fournisseurs et distributeurs. Il aurait été plus judicieux de désigner dans les lignes directrices les types d’échanges autorisés et quels mécanismes peuvent être mis en place (p. ex. des murailles de Chine, l’agrégation des données, …), ce qu’ont largement réclamé les participants à la consultation publique.
Doubles prix
La pratique du double prix désigne le fait pour un fournisseur d’appliquer des prix différenciés à un même distributeur selon qu’il vende ses produits en ligne ou en boutique. Les lignes directrices actuelles considèrent qu’il s’agit d’une pratique caractérisée, le but étant de protéger le commerce en ligne. La Commission considère désormais que cette protection n’est plus nécessaire en raison du développement important et durable du commerce en ligne.
Sous l’empire des nouvelles règles, cette pratique pourra bénéficier de la zone de sécurité du règlement si elle a pour objet d’encourager et/ou de récompenser le niveau approprié d’investissements réalisés selon que la vente ait lieu en ligne ou hors ligne. Attention, cette pratique ne doit pas avoir pour objet de restreindre les ventes en ligne mais doit refléter les différences de coûts entre vente en ligne et hors ligne.
Si le critère du niveau approprié d’investissement parait flou, le critère de coût semble plus pertinent : concrètement, pour une tête de réseau, il faudra analyser la différence de coûts entre vente en ligne et hors ligne pour ses distributeurs et, sur cette base, déterminer la différenciation tarifaire adaptée afin de compenser le coût supplémentaire que représente la vente en boutique. Les participants à la consultation ont toutefois souligné que cette démarche pourrait toutefois être difficile en pratique et entravée par les restrictions aux échanges d’information en matière de distribution duale.
Restrictions des ventes en ligne
Le nouveau règlement codifie les arrêts Pierre Fabre
2 (possibilité de justifier des restrictions à la vente en ligne par des critères objectifs et proportionnés) et Coty
3 (possibilité de restreindre la vente sur des plateformes de vente en ligne) de la Cour de justice de l’Union européenne.
Des restrictions aux ventes en ligne peuvent ainsi être mises en œuvre pour autant qu’elles soient essentielles afin de préserver les caractéristiques essentielles des produits concernés et soient appliquées de manière objective, uniforme et proportionnée. A cet égard, les lignes directrices ne limitent pas la possibilité de restreindre les ventes en ligne à certains produits, secteurs ou modes de distribution. Il appartiendra donc aux têtes de réseau d’adapter ces restrictions à leur stratégie de distribution et aux types de produits vendus.
Le règlement vient également préciser que les restrictions aux ventes en ligne ne doivent pas avoir pour objet, directement ou indirectement, d’empêcher les acheteurs ou leurs clients d’utiliser effectivement internet en vue de vendre leurs biens ou services en ligne. Sont considérés comme des restrictions caractérisées le fait pour un fournisseur d’empêcher à ses distributeurs de :
- Recourir à des sites web de comparaison de prix ;
- Recourir à des référencements payants sur des moteurs de recherche ;
- Interdire son distributeur d’exploiter son propre site internet ;
- ...
Exclusion des plateformes hybrides
Les plateformes hybrides sont des plateformes qui fournissent des services d’intermédiation en ligne et vendent des biens ou des services en concurrence avec les entreprises auxquelles elles fournissent lesdits services d’intermédiation.
En application du nouveau règlement, les plateformes de vente en ligne seront désormais assimilées à des fournisseurs, ce qu’ont pu critiquer les participants à la consultation publique.
En revanche, les plateformes hybrides sont exclues du bénéfice d’une exemption car la Commission considère que ces plateformes posent des problèmes horizontaux s’agissant notamment de la concurrence intermarques. Les accords verticaux conclus avec ces plateformes doivent donc être évalués au cas par cas, notamment à la lumière des lignes directrices verticales et horizontales. Cette exclusion a été critiquée par les participants à la consultation publique, qui ont notamment souligné l’insécurité juridique qui en résultait pour les cocontractants de ces plateformes.
Clauses de parité
Une clause de parité consiste à imposer à un fournisseur de biens ou services de pratiquer sur un canal de distribution donné (p. ex. une plateforme de vente en ligne) des prix et conditions au moins aussi favorables que sur tous les autres canaux (clause de parité dites « élargie ») ou simplement sur le propre site/boutique (clause de parité dite « restreinte »). Dans la pratique, ces clauses ont été beaucoup utilisées par des sites de réservation d’hôtels en ligne afin d’exiger que le prix des chambres soit le même sur le site de réservation en ligne que sur le site de l’hôtelier.
Le nouveau règlement prive du bénéfice de l’exemption par catégorie les obligations de parité élargies imposées par les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne à leurs acheteurs de services. Ces clauses pourront toutefois faire l’objet d’une exemption individuelle en application de l’article 101(3) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
En revanche, les clauses de parité restreintes bénéficient toujours de l’exemption par catégorie en raison de leur nocivité plus limitée, ce qu’ont pu regretter certains hôteliers ayant participé à la consultation publique.
L’exclusivité partagée
L’exclusivité partagée permet à un fournisseur de désigner plusieurs distributeurs exclusifs sur un territoire donné ou pour une clientèle donnée.
Le projet de lignes directrices précise qu’il faudra, dans ce cas, déterminer le nombre de distributeurs désignés proportionnellement au territoire ou à la clientèle alloués de manière à garantir un certain volume d’activité préservant leurs efforts d’investissement.
Cette possibilité consacre en réalité une pratique existante dans les réseaux de distribution. Se pose toutefois la difficulté de mettre en œuvre ces critères en pratique : les lignes directrices restent silencieuses quant à la détermination du nombre de distributeurs désignés et sont floues sur ce que revêt la notion de « volume d’activité ». Un effort de clarté semble donc nécessaire pour éviter une interprétation hétérogène à travers les Etats Membres, mais aussi pour répondre aux inquiétudes des distributeurs qui craignent que trop de souplesse soit offerte aux fournisseurs.
Les fournisseurs pratiquant l’exclusivité partagée et les prix doubles devront aussi veiller à mettre en balance ces deux pratiques, notamment dans l’optique de préserver les efforts d’investissement de leurs distributeurs par rapport à la clientèle ou au territoire alloué.
Distribution sélective
Le nouveau règlement renforce l’étanchéité des réseaux de distribution sélective en permettant aux têtes de réseaux qui combinent l’application d’un système de distribution exclusive et d’un système de distribution sélective sur différents territoires d’empêcher un acheteur exclusif et ses clients de vendre activement ou passivement à des distributeurs non agréés situés sur un territoire où le fournisseur exploite un système de distribution sélective.
Les nouveaux textes abandonnent également le principe d’équivalence qui imposait de respecter des critères de sélectivité équivalents tant pour la vente en ligne qu’en boutique.
Ceci est de bon augure pour faciliter la gestion et la protection des canaux de distributions par les têtes de réseaux, augmente l’attractivité des réseaux de distribution sélective et a été accueilli positivement par les répondants à la consultation publique.
REVISEZ VOS CONTRATS DE DISTRIBUTION
Cette réforme du règlement 330/2010 et des lignes directrices appelle une révision des contrats et réseaux de distribution.
Fidal est en mesure de vous accompagner pour la mise en conformité de vos réseaux et contrats, mais également pour rendre vos réseaux plus efficaces et compétitifs :
- Les réseaux de distribution peuvent être repensés afin de saisir de nouvelles opportunités (p. ex. la distribution exclusive partagée) ;
- Les contrats de distribution doivent être revus aux fins de mise en conformité (p. ex. s’agissant de la distribution duale) ou pour adopter de nouvelles pratiques (p. ex. les doubles prix).
AUTEURS :
Frédéric Puel
Alexandre Marescaux
1 Il s’agit actuellement du règlement (UE) n o 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées (OJ L 102, 23.4.2010, p. 1–7)
2 Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 13 octobre 2011. Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS contre Président de l’Autorité de la concurrence et Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, Affaire C-439/09, ECLI:EU:C:2011:649
3 Arrêt de la Cour (première chambre) du 6 décembre 2017, Coty Germany GmbH contre Parfümerie Akzente GmbH, Affaire C-230/16, ECLI:EU:C:2017:941