Contrat de franchise : une modification de la loi sur les baux commerciaux méconnue des franchiseurs

Une disposition extrêmement importante pour les franchiseurs et les franchisés a été adoptée en Région wallonne par l’article 23 du décret-programme du 17 juillet 2018 applicable depuis le 18 octobre 2018. Le texte qui a été inséré dans la partie du Code civil consacrée aux dispositions relatives aux baux commerciaux, demeure aujourd’hui encore trop méconnu des franchiseurs. Le texte dispose en effet que, depuis le 18 octobre 2018, les clauses de destination du bail qui contraignent le franchisé à ne faire usage que de l’enseigne du franchiseur dans le cadre du bail commercial sont réputées non écrites pour les contrats exécutés en Région wallonne.

1. La modification de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux

Par décret programme du 17 juillet 2018, applicable depuis le 18 octobre 2018, les dispositions du code civil applicables aux baux commerciaux en Région wallonne ont été modifiées.

Le champ d’application de la loi sur les baux commerciaux (article 1 de la loi du 30 avril 1951 relative aux baux commerciaux, reprise au livre 3, titre 8, chapitre 2, section 2bis du Code civil) a ainsi été complété par deux paragraphes :

•  « La présente section s’applique également intégralement aux baux conclus dans le cadre d’un contrat de partenariat commercial tel que défini à l’article I.11,2° du Code de droit économique du 28 février 2013 ».
• « Toute clause destinant exclusivement les lieux loués à l’exploitation d’une enseigne déterminée est réputée non écrite ».

Les travaux préparatoires du décret témoignent d’une volonté de résoudre une série de problèmes qui se posent régulièrement dans le cadre des contrats de bail qui sont l’accessoire de contrats de franchise. De nombreuses difficultés peuvent en effet apparaitre lorsque le franchiseur est également le bailleur du franchisé-locataire :

1. Les dispositions générales relatives aux baux n’interdisent pas de spécifier qu’un bien loué doit recevoir une destination spécifique ou ne peut être destiné à une activité particulière indiquée dans le bail. La modification de la destination du bail commercial à la fin du contrat de franchise peut être constitutive d’une faute ayant pour conséquence la résiliation de ce bail et le paiement d’indemnités par le franchisé.
2. De plus, si le franchiseur-bailleur provoque la rupture du contrat, il pourrait se soustraire notamment de ses obligations relatives aux indemnités d’éviction et priver le franchisé-locataire de son droit au renouvellement du bail.
3. Enfin, des disparités peuvent exister entre les dates d’expiration des contrats de franchise et de bail commercial.

Le législateur wallon a fondé la modification de l’article 1er de la loi sur les baux commerciaux sur base de deux axes :

• prévoir que la législation en matière de baux commerciaux s’applique intégralement aux baux qui sont les accessoires du contrat de franchise pour permettre que le bail puisse se poursuivre après la fin du contrat de franchise au profit du franchisé et pour permettre à celui-ci de percevoir des indemnités d’éviction si le franchiseur veut rompre le contrat en même temps que le contrat de franchise ;
• interdire de destiner exclusivement par contrat de bail un local commercial à l’exploitation d’une enseigne spécifique pour permettre au franchisé de continuer à exploiter ce local après la fin du contrat de franchise sans être tenu de maintenir l’enseigne qu’il quitte.

2. Conséquences de cette modification

Cette modification de la loi sur les baux commerciaux implique que le contrat de franchise et le contrat de bail sont deux contrats indépendants et qu’un contrat ne peut absorber l’autre. Toutes les dispositions de la loi sur les baux commerciaux seront donc pleinement d’application : la jurisprudence concernant l’absorption du contrat de bail par le contrat de franchise devient donc obsolète en Région wallonne.

Concrètement :

• Le bailleur ne pourra en principe pas mettre un terme au contrat de bail commercial si le franchisé-locataire n’a pas commis de faute dans l’exécution du bail. Le franchisé-locataire devra demander le renouvellement du bail dans le respect des délais et des formes de la loi. Le refus de renouvellement du bail ne pourra avoir lieu que dans des cas strictement limités par la loi sur les baux commerciaux. Le franchisé-locataire pourra demander au franchiseur-bailleur des indemnités d’éviction si le bail n’est pas renouvelé ou s’il est résilié sans que le franchisé n’ait commis de faute en sa qualité de locataire.
• Seules les clauses qui destinent exclusivement les lieux loués à l’exploitation d’une enseigne déterminée, c’est-à-dire en pratique l’enseigne du franchiseur X, sont interdites. Par contre, les clauses limitant plus généralement la destination des lieux restent quant à elles valables (une clause selon laquelle les lieux loués ne pourraient être destinés qu’à la vente de produits cosmétiques pourrait donc valablement être prévue dans le contrat de bail, à condition de ne pas préciser que seuls les produits cosmétiques de l’enseigne du franchiseur pourraient y être vendus).
• Ces règles entraînent très une disparité quasi automatique entre la durée du contrat de franchise et celle du contrat de bail. La loi sur les baux commerciaux fixe en effet la durée d’un bail à neuf ans renouvelable trois fois alors qu’il est rare qu’un contrat de franchise soit conclu pour une telle durée. Le contrat de franchise est en effet souvent assorti d’une clause d’exclusivité et de non-concurrence et la conclusion d’un contrat de franchise d’une si longue durée pourrait poser problème au regard des règles du droit de la concurrence si les investissements à charge du franchisé ne le justifient pas.
• Enfin, il ne faut pas oublier que l’article 1762bis du Code civil prohibe, pour les baux, la clause résolutoire expresse : celle-ci est considérée comme non écrite. Ce qui n’est pas le cas pour les contrats de franchise où une telle clause reste valable, il faudra donc être particulièrement attentif à ne pas créer de difficulté matérielle supplémentaire.
• En ce qui concerne l’impact de cette législation sur l’effectivité d’une clause de non-concurrence post contractuelle, il convient de souligner que l’usage du bien loué après la fin du contrat de franchise devra tenir compte de cette clause si elle est valable, ce qui limitera les droits de l’ex-franchisé mais ne les supprimera pas.

Auteur : 

Nicolas GODIN

Nicolas.godin@fidal.com