Bien que l’appellation « artisan » soit protégée dans notre pays, le terme « artisanal » n’est pas défini en tant que tel par la législation belge. Ce vide juridique ouvre évidemment la porte à des pratiques souvent douteuses quant à la présence de cette terminologie sur les emballages de produits.
La France, l’Irlande et la République tchèque ont pourtant défini de manière très claire et très stricte ce qui peut être vendu sous les appellations « artisanal », « naturel », « homemade » et « traditionnel ». L’accent est souvent mis sur des critères comme le recours à des méthodes traditionnelles, des ingrédients et des recettes authentiques, ainsi qu’une production à petite échelle par des artisans qui connaissent leur produit.
Ce n’est toutefois pas pour autant que ce type de pratique n’est pas encadré par le droit belge, au contraire.
1. Le titre d’ « artisan »
La loi du 19 mars 2014 définit l’artisan comme « une personne physique ou morale active dans la production, la transformation, la réparation, la restauration d’objets, la prestation de services dont les activités présentent des aspects essentiellement manuels, un caractère authentique, développant un certain savoir-faire axé sur la qualité, la tradition, la création ou l’innovation » (article 2).
En vertu de cette loi, tout artisan peut solliciter une reconnaissance légale de son titre auprès de la Commission Artisans du SPF Economie. Cette reconnaissance a pour but de consacrer le caractère tout à fait authentique de cette activité1, l’aspect manuel du travail réalisé et du savoir-faire artisanal.
(i) L’introduction de la demande
Les demandes de reconnaissance doivent être introduites auprès de la « Commission Artisans » (du SPF économie) via un formulaire de renseignement qui reprend notamment une description de l’activité, la manière dont elle est exercée, les services représentatifs du savoir-faire visé, les récompenses obtenues, les accords passés et l’impact sur l’activité, etc.
(ii) Les conditions requises
La reconnaissance n’est possible que si :
Les demandeurs exerçant leurs activités sous le couvert du numéro d’entreprise d’une ASBL ne peuvent pas obtenir la reconnaissance de la qualité d’artisan. En effet, seuls des demandeurs eux-mêmes inscrits à la Banque-Carrefour des Entreprises pour l’exercice d’une ou plusieurs activités ayant un but lucratif peuvent éventuellement obtenir cette reconnaissance. L’ASBL sous le couvert de laquelle les demandeurs exercent leur activité ne peut pas d’avantage être reconnue comme artisan car une ASBL ne peut, par définition, avoir de but lucratif.
Lors de l’octroi de la reconnaissance, la Commission Artisans tient compte :
Comme la reconnaissance est accordée à une entreprise pour l’ensemble des activités qu’elle exerce, les activités inscrites sous chacune de ses unités d’établissement (telles que reprises à la Banque-Carrefour des Entreprises) doivent également respecter les conditions de cette reconnaissance, ce qui peut constituer une condition relativement contraignante dans la pratique.
(iii) Procédure
La Commission Artisans statue au plus tard deux mois après la réception du formulaire de renseignements. Ce délai peut être prolongé si le président de la Commission Artisans décide de demander une enquête sur place.
(iv) Durée de validité de la reconnaissance
La reconnaissance de la qualité d’artisan a une durée de six ans. Elle prend cours dès le premier jour qui suit la date de la décision d’octroi. L’artisan peut également, sous certaines conditions, introduire une demande de prolongation.
(v) Retrait de la reconnaissance et recours
Le commerçant qui ne répond plus aux critères légaux doit immédiatement en informer la Commission Artisans.
En outre, si durant une période de plus de trois mois, ce dernier ne remplit plus les conditions de la reconnaissance, la qualité d’artisan lui sera retirée par La Commission Artisans.
L’artisan pourra toutefois introduire, devant le Conseil Artisans, un recours contre la décision de la Commission Artisans dans les trente jours qui suivent la notification de la décision défavorable de la Commission Artisans.
2. La règlementation applicable à l’utilisation de la terminologie « artisanal »
(i) Base légale générale
De nombreux produits alimentaires ou non sont qualifiés d’artisanaux, de fabrication artisanale, ou font état de l’intervention d’un artisan dans l’élaboration du produit. Ces mentions apparaissent le plus souvent sur leur emballage ou encore dans les campagnes publicitaires.
Le droit belge ne définit cependant pas ce qu’est un « produit artisanal » de sorte que l’usage de cette terminologie dans le cadre d’une pratique commerciale est libre .
Bien que, comme nous l’avons vu ci-avant, le droit belge définit la notion d’ « artisan », le législateur n’a toutefois pas établi de lien direct entre l’appellation « artisan » agréé et le caractère artisanal des produits qu’il fabrique. Les productions d’une entreprise agréée en qualité d’« artisan » ne sont pas ipso facto considérées comme artisanales. De même que rien n’empêche une entreprise qui ne dispose pas de la reconnaissance comme artisan au sens de la loi du 19 mars 2014 de qualifier ses produits d’ « artisanaux ».
A défaut de législation spécifique relative à l’usage du terme « artisanal », il y a lieu de se référer aux dispositions générales du Code de droit économique à savoir, les articles VI.92 à 98 relatifs aux pratiques commerciales déloyales à l’égard des consommateurs.
Pour ce qui concerne les denrées alimentaires, c’est le Règlement 1169/2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires dans ses articles 7, 8, 9 et 36 (pratiques loyales quant aux informations fournies au consommateur de denrées alimentaires) qui s’applique.
Lorsqu’une entreprise utilise une terminologie telle que « production/fabrication artisanale » ou « produit artisanal », elle doit donc s’abstenir de toute pratique commerciale déloyale ou trompeuse vis-à-vis du consommateur. En effet, le caractère artisanal constitue bien souvent un critère « positif » qui génère des attentes dans le chef du consommateur au niveau de la qualité et/ou du goût et justifie souvent un prix plus élevé.
L’entreprise qui prétend vendre un produit artisanal doit le faire de façon loyale et non trompeuse : l’allégation ne peut contenir des informations fausses. Elle peut être considérée comme mensongère dès lors que, d’une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen, même si les informations présentées sont factuellement correctes, en ce qui concerne notamment la nature ou les caractéristiques principales du produit (telles que ses avantages, sa composition, le mode et la date de fabrication, ses spécifications, son origine géographique ou commerciale).
L’entreprise doit en outre être en mesure de justifier cette allégation au regard des méthodes de production et/ou des caractéristiques du produit.
(ii) Les Guidelines du SPF économie
C’est dans ce contexte que le SPF économie a élaboré une grille de critères à appliquer, sous la forme de recommandations (guide de bonne pratique).
Les recommandations du SPF s’appliquent à tous les produits alimentaires et non alimentaires mis sur le marché belge, sauf règlementation spécifique propre.
Il est également important de souligner le fait que les entreprises qui ne sont pas établies en Belgique ou dans un autre Etat membre de l’Union européenne doivent faire application de ces guidances ou des guidances équivalentes établies par les autres Etats membres européens.
Attention, il ne s’agit pas de vouloir trouver des critères pour d’autres qualificatifs tels que : « biologique », « pur », « de campagne », « fermier », « paysan », « maison », « fait maison », « à l’ancienne », « traditionnel », « du terroir », qui ne recouvrent pas les mêmes notions. Ces allégations doivent cependant toujours pouvoir être justifiées par l’entreprise.
Seules les notions d’artisanal ou fabrication artisanale sont visées par la présente guidance.
Pour se distinguer le produit artisanal doit au moins s’appuyer sur un des éléments repris ci-dessous. Ces critères relèvent soit des qualités intrinsèques du produit (composants, matières premières), soit du processus de fabrication.
Ces éléments ne peuvent être conjugués avec des éléments par :
L’entreprise qui recourt à l’allégation « artisanal » pour ses produits (y compris les artisans reconnus au sens de la loi du 19 mars 2014) doit être en mesure de la justifier positivement selon ces critères.
Ceci peut se faire via la publicité, sur l’emballage ou encore via un site internet auquel le produit ou la publicité renvoie.
Le législateur européen est intervenu directement via un règlement afin, notamment, de préciser les obligations d’information à charge des producteurs et fournisseurs de denrées alimentaires à destination des consommateurs. Ces règles sont d’application directes et expriment les mêmes principes que ceux formulés au livre VI du Code de droit économique en matière de pratiques commerciales déloyales.
Les sanctions sont prévues par le Code de droit économique (article XV.83 CDE) et sont de niveau 2, voire 3 en cas de mauvaise foi, soit des peines pouvant aller pour le niveau 2 jusqu’à 80.000 euros et pour le niveau 3, jusqu’à 200.000 euros.
Nicolas GODIN
Nicolas.godin@fidal.com
1 Exemples de secteurs d’activité : Métaux, Arts graphiques, Produits de luxe (Bijouterie, horlogerie et parfumerie), Produits alimentaires, Bois, Ameublement et décoration d’intérieur, Céramique, Textile, cuir et mode, Pierre, Service aux personnes et aux animaux, Verre, Construction, réparation, rénovation, Musique, Fleurs et jardins, Papier, Mécanique (Automobile et cycles), ou Autre.